17
MERCREDI 1er JUIN
RIEN N’AVAIT AVERTI Mikael Blomkvist que quelqu’un se trouvait dans la cage d’escalier quand il tourna au dernier palier devant son loft au numéro 1 de Bellmansgatan. Il était 19 heures. Il s’arrêta net en voyant une femme blonde aux cheveux courts et bouclés assise sur la dernière marche. Il l’identifia immédiatement comme Rosa Figuerola de la Säpo, il se souvenait très bien de la photo d’identité que Lottie Karim avait dénichée.
— Salut Blomkvist, dit-elle joyeusement en refermant le livre qu’elle était en train de lire.
Mikael lorgna sur le titre et vit qu’il s’agissait d’un livre en anglais sur la perception des dieux dans l’Antiquité. Il quitta le livre des yeux pour examiner sa visiteuse inattendue. Elle se leva. Elle portait une robe d’été blanche à manches courtes et avait posé une veste en cuir rouge brique sur la rampe de l’escalier.
— On aurait besoin de vous parler, dit-elle.
Mikael Blomkvist l’observa. Elle était grande, plus grande que lui, et cette impression était renforcée par le fait qu’elle se trouvait deux marches au-dessus de lui. Il observa ses bras, baissa les yeux sur ses jambes et réalisa qu’elle était bien plus musclée que lui.
— Vous devez passer plusieurs heures par semaine en salle de sport, dit-il.
Elle sourit et sortit sa carte professionnelle.
— Je m’appelle…
— Vous vous appelez Rosa Figuerola, vous êtes née en 1969 et vous habitez dans Pontonjärgatan sur Kungsholmen. Originaire de Borlänge, vous avez travaillé comme agent de police à Uppsala. Depuis trois ans, vous travaillez à la Säpo, Protection de la Constitution. Fana de muscu, il fut un temps où vous étiez athlète de haut niveau et vous avez failli faire partie de l’équipe suédoise aux JO. Qu’est-ce que vous me voulez ?
Elle fut surprise, mais hocha la tête et se reprit rapidement.
— Tant mieux, dit-elle sur un ton léger. Vous savez qui je suis, alors vous savez que vous n’avez rien à craindre de moi.
— Non ?
— Certaines personnes ont besoin de parler tranquillement avec vous. Comme votre appartement et votre portable ont tout l’air d’être sur écoute et qu’il y a des raisons de rester discrets, on m’a envoyée transmettre l’invitation.
— Et pourquoi est-ce que j’irais quelque part avec quelqu’un qui travaille à la Säpo ?
Elle réfléchit un instant.
— Eh bien… vous pouvez me suivre sur cette invitation personnelle et amicale ou, si cela vous arrange, je peux vous passer les bracelets et vous emmener.
Elle afficha un sourire charmant. Mikael Blomkvist le lui rendit.
— Ecoutez, Blomkvist… je comprends que vous n’ayez pas beaucoup de raisons de faire confiance à quelqu’un qui vient de la Säpo. Mais il se trouve que tous ceux qui y travaillent ne sont pas vos ennemis et il y a plein de très bonnes raisons pour que vous acceptiez un entretien avec mes chefs.
Il attendit.
— Alors qu’est-ce que vous choisissez ? Les bracelets ou le plein gré ?
— J’ai déjà été coffré par la police une fois cette année. J’ai eu mon quota. On va où ?
Elle conduisait une Saab 9-5 neuve et s’était garée au coin de Pryssgränd. En montant dans la voiture, elle ouvrit son portable et fit un numéro préenregistré.
— On est là dans un quart d’heure, dit-elle.
Elle dit à Mikael Blomkvist d’attacher sa ceinture de sécurité, puis elle prit par Slussen pour aller à Östermalm et se gara dans une rue latérale d’Artillerigatan. Elle resta immobile une seconde à le regarder.
— Blomkvist… il s’agit d’une cueillette amicale. Vous ne risquez rien.
Mikael Blomkvist ne répondit pas. Il attendait de savoir de quoi il s’agissait avant d’émettre un jugement. Elle pianota le code du portail. Ils montèrent au troisième étage avec l’ascenseur, à un appartement portant une plaque au nom de Wahlöf.
— C’est un appartement que nous avons emprunté pour la réunion de ce soir, dit Rosa Figuerola en ouvrant la porte. A droite, le séjour.
Le premier que Mikael aperçut fut Torsten Edklinth, ce qui n’était guère une surprise puisque la Säpo était particulièrement mêlée aux événements et qu’Edklinth était le chef de Rosa Figuerola. Le fait que le directeur de la Protection de la Constitution se soit donné la peine de le faire venir indiquait que quelqu’un était inquiet.
Ensuite il vit devant une fenêtre un personnage qui se tourna vers lui. Le ministre de la Justice. Ce qui était surprenant.
Puis il entendit un bruit venant de sa droite et vit une personne extrêmement familière se lever d’un fauteuil. Jamais il n’aurait imaginé que Rosa Figuerola le conduise à une réunion du soir entre conspirateurs, dont le Premier ministre !
— Bonsoir, monsieur Blomkvist, salua le Premier ministre. Pardonnez-nous de vous faire venir à cette réunion si précipitamment, mais nous avons discuté la situation entre nous et nous sommes tous d’accord sur la nécessité qu’il y a à vous parler. Puis-je vous offrir un café ou autre chose à boire ?
Mikael regarda autour de lui. Il vit une grande table en bois sombre encombrée de verres, de tasses à café vides et des restes d’une tarte salée. Ils devaient être ici depuis plusieurs heures déjà.
— Une Ramlösa, dit-il.
Rosa Figuerola lui servit son eau minérale. Ils s’installèrent dans des canapés autour d’une table basse tandis qu’elle restait en retrait.
— Il m’a reconnue et il savait comment je m’appelle, où j’habite, où je travaille et que je suis une accro de musculation, dit Rosa Figuerola.
Le Premier ministre regarda rapidement Torsten Edklinth puis Mikael Blomkvist. Mikael réalisa soudain qu’il se trouvait en position de force pour parler. Le Premier ministre avait besoin de lui pour quelque chose et ignorait probablement jusqu’à quel point Mikael Blomkvist savait ou ne savait pas.
— J’essaie de m’y retrouver parmi les acteurs de cette salade, dit Mikael sur un ton léger.
Va donc essayer de bluffer le Premier ministre.
— Et comment avez-vous fait pour savoir le nom de Mlle Figuerola ? demanda Edklinth.
Mikael regarda en douce le directeur de la Protection de la Constitution. Il n’avait aucune idée de ce qui avait amené le Premier ministre à organiser une réunion secrète avec lui dans un appartement prêté à Östermalm, mais il se sentait inspiré. Concrètement, les choses n’avaient pas pu se passer de dix mille manières. C’était Dragan Armanskij qui avait tout démarré en fournissant des informations à une personne en qui il avait confiance. Qui était forcément Edklinth ou un proche de lui. Mikael courut le risque.
— Une connaissance commune vous a informé, dit-il à Edklinth. Vous avez demandé à Mlle Figuerola d’enquêter sur ce qui se tramait et elle a découvert que des activistes de la Säpo mènent des écoutes téléphoniques illégales et entrent par effraction dans mon appartement et ce genre de choses. Cela veut dire que vous avez eu confirmation de l’existence du club Zalachenko. Cela vous a tellement perturbé que vous avez éprouvé le besoin de mener les choses plus loin, mais vous êtes resté un moment dans votre bureau sans trop savoir vers qui vous tourner. Et puis vous vous êtes tourné vers le ministre de la Justice qui à son tour s’est tourné vers le Premier ministre. Et nous voici. Qu’attendez-vous de moi ?
Mikael parlait sur un ton qui sous-entendait qu’il disposait d’une source bien placée et qu’il avait suivi le moindre pas fait par Edklinth. Aux yeux écarquillés de ce dernier, il vit que son bluff avait réussi. Il poursuivit.
— Le club Zalachenko me surveille, je les surveille et vous surveillez le club Zalachenko et, à ce stade, le Premier ministre est aussi furieux qu’inquiet. Il sait qu’à la fin de cet entretien attend un scandale auquel le gouvernement ne pourra peut-être pas survivre.
Rosa Figuerola sourit tout à coup, mais dissimula son sourire en levant son verre. Elle avait compris que Blomkvist bluffait, et elle savait comment il avait fait pour la surprendre en connaissant son nom et sa pointure de chaussures.
Il m’a vue dans la voiture dans Bellmansgatan. Il est terriblement attentif. Il a relevé le numéro de la voiture et m’a identifiée. Mais le reste n’est que des suppositions.
Elle ne dit rien.
Le Premier ministre eut l’air soucieux.
— C’est cela qui nous attend ? demanda-t-il. Un scandale qui va renverser le gouvernement ?
— Le gouvernement n’est pas mon problème, dit Mikael. Ma mission consiste à révéler des merdes comme le club Zalachenko.
Le Premier ministre hocha la tête.
— Et la mienne consiste à diriger le pays en accord avec la Constitution.
— Ce qui signifie que mon problème est tout particulièrement le problème du gouvernement. Alors que le contraire ne s’applique pas.
— Est-ce qu’on peut cesser de parler pour ne rien dire ? Pourquoi pensez-vous que j’ai organisé cette réunion ?
— Pour trouver ce que je sais et ce que j’ai l’intention de faire.
— C’est en partie correct. Mais il est plus exact de dire que nous sommes face à une crise constitutionnelle. Laissez-moi tout d’abord expliquer que le gouvernement n’a rien à voir dans tout ça. Nous sommes totalement pris de court. Je n’ai jamais entendu parler de ce… ce que vous appelez le club Zalachenko. Le ministre de la Justice n’en a jamais entendu parler. Torsten Edklinth, qui a un poste élevé à la Säpo depuis de nombreuses années, n’en a jamais entendu parler.
— Ce n’est toujours pas mon problème.
— Je sais. Ce que nous voulons savoir, c’est quand vous avez l’intention de publier votre texte et nous aimerions aussi savoir ce que vous avez l’intention de publier. C’est une question que je pose. Elle n’a rien à voir avec un contrôle quelconque des dégâts possibles.
— Non ?
— Blomkvist, la pire des choses que je pourrais faire dans cette situation serait d’essayer d’influencer le contenu de votre article. En revanche, j’ai l’intention de proposer une collaboration.
— Expliquez-vous.
— Maintenant que nous avons eu la confirmation qu’il existe une conspiration au sein d’une branche exceptionnellement sensible de l’administration de l’Etat, j’ai ordonné une enquête. Le Premier ministre se tourna vers le ministre de la Justice. Pourriez-vous expliquer exactement en quoi consiste l’ordre du gouvernement ?
— C’est très simple. Torsten Edklinth a reçu pour mission de préciser s’il est possible de prouver tout cela. Sa mission consiste à réunir des pièces à conviction qui seront transmises au procureur de la nation qui à son tour aura pour mission d’évaluer s’il faut engager une action judiciaire. Il s’agit donc d’une instruction très précise.
Mikael hocha la tête.
— Ce soir, Edklinth nous a rapporté comment l’enquête progresse. Nous avons eu une longue discussion concernant des points constitutionnels – nous tenons évidemment à ce que tout se passe dans la légalité.
— Naturellement, dit Mikael sur un ton qui laissait entendre qu’il n’accordait pas la moindre confiance aux engagements du Premier ministre.
— L’enquête se trouve actuellement dans un stade sensible. Nous n’avons pas encore établi exactement qui sont les personnes mêlées à l’histoire. Nous avons besoin de temps pour le faire. Et c’est pourquoi nous avons envoyé Mlle Figuerola vous inviter à cette réunion.
— Elle a rondement mené l’affaire. Je n’avais pas trop le choix.
Le Premier ministre fronça les sourcils et jeta un regard en coin sur Rosa Figuerola.
— Oubliez ce que j’ai dit, dit Mikael. Elle a eu un comportement exemplaire. Qu’est-ce que vous voulez ?
— Nous voulons savoir quand vous avez l’intention de publier. En ce moment, cette enquête est menée dans le plus grand secret, et si vous intervenez avant qu’Edklinth ait terminé, vous pouvez tout faire capoter.
— Hmm. Et quand voudriez-vous que je publie ? Après les élections ?
— C’est vous qui décidez. Je ne peux en rien influer. Ce que je vous demande, c’est de nous dire quand vous allez publier pour que nous connaissions exactement la date butoir pour l’enquête.
— Je comprends. Vous parliez d’une collaboration…
Le Premier ministre hocha la tête.
— Je voudrais commencer par dire qu’en temps normal je n’aurais jamais songé à faire venir un journaliste à une réunion de ce type.
— En temps normal, vous auriez probablement tout fait pour tenir les journalistes à l’écart d’une réunion de ce type.
— Oui. Mais j’ai compris qu’il y a plusieurs facteurs qui vous poussent. En tant que journaliste, vous avez la réputation de ne pas y aller de main morte quand il s’agit de corruption. Pour ça, il n’y a pas de divergences entre nous.
— Non ?
— Non. Aucune. Ou plus exactement… les divergences qu’il y a sont sans doute de caractère juridique, mais il n’y en a pas en ce qui concerne le but. Si ce club Zalachenko existe, ce n’est pas seulement un groupement totalement criminel, mais aussi une menace contre la sûreté de la nation. Il faut les arrêter et les responsables doivent répondre de leurs actes. Sur ce point, nous devrions être d’accord, vous et moi ?
Mikael fit oui de la tête.
— J’ai compris que vous en savez plus sur cette histoire que n’importe qui d’autre. Nous vous proposons de partager vos connaissances avec nous. S’il s’agissait d’une enquête de police régulière sur un crime ordinaire, le responsable de l’enquête préliminaire pourrait décider de vous convoquer pour un interrogatoire. Mais nous sommes dans une situation extrême, vous l’avez bien compris.
Mikael garda le silence et évalua la situation un court instant.
— Et qu’est-ce que je reçois en contrepartie si je coopère ?
— Rien. Je ne marchande pas avec vous. Si vous voulez publier demain matin, vous le faites. Je ne veux pas m’embarquer dans un marchandage qui pourrait être douteux du point de vue constitutionnel. Je vous demande de coopérer pour le bien de la nation.
— Le bien peut revêtir de nombreuses facettes, dit Mikael Blomkvist. Laissez-moi vous expliquer quelque chose… je suis furieux. Je suis furieux contre l’Etat et le gouvernement et la Säpo et ces enfoirés qui sans raison ont interné une fille de douze ans dans un hôpital psychiatrique et ensuite se sont appliqués à la faire déclarer incapable.
— Lisbeth Salander est devenue une affaire d’Etat, dit le Premier ministre, et il alla jusqu’à sourire. Mikael, je suis personnellement révolté par ce qui lui est arrivé. Et croyez-moi quand je dis que les responsables vont avoir à s’expliquer. Mais avant cela, nous devons savoir qui sont les responsables.
— Vous avez vos problèmes. Le mien est que je veux voir Lisbeth Salander acquittée et qu’elle retrouve ses droits civiques.
— Je ne peux pas vous aider sur cet aspect. Je ne suis pas au-dessus de la loi et je ne peux pas diriger les décisions du procureur et des tribunaux. Son acquittement doit venir d’un tribunal.
— Parfait, dit Mikael Blomkvist. Vous voulez une collaboration. Donnez-moi accès à l’enquête d’Edklinth, et je dirai quand j’ai l’intention de publier et ce que je vais publier.
— Je ne peux pas vous donner cet accès-là. Ce serait me placer dans la même relation avec vous que le prédécesseur du ministre de la Justice avait avec un certain Ebbe Carlsson avant que n’éclate le scandale des révélations sur l’assassinat de Palme.
— Je ne suis pas Ebbe Carlsson, dit Mikael calmement.
— C’est ce que j’ai compris. En revanche, Torsten Edklinth peut évidemment déterminer lui-même ce qu’il a envie de partager avec vous en restant dans le cadre de sa mission.
— Bon, bon, dit Mikael Blomkvist. Je veux savoir qui était Evert Gullberg.
Un silence s’installa autour des canapés.
— Evert Gullberg fut probablement pendant de nombreuses années le chef de la section au sein de la Säpo que vous appelez le club Zalachenko, dit Edklinth.
Le Premier ministre jeta un regard sévère sur Edklinth.
— Je crois qu’il le sait déjà, s’excusa Edklinth.
— C’est exact, dit Mikael. Il a commencé à travailler à la Säpo dans les années 1950 et il est devenu le directeur d’un truc baptisé Section d’analyse spéciale. C’est lui qui a géré toute l’affaire Zalachenko.
Le Premier ministre secoua la tête en soupirant.
— Vous en savez plus que vous ne devriez. J’aimerais savoir comment vous avez fait pour le trouver. Mais je ne demanderai pas.
— J’ai des trous dans mon article, dit Mikael. Je veux les combler. Donnez-moi des infos et je ne vous ferai pas de croche-pattes.
— En tant que Premier ministre, je ne peux pas donner ces informations. Et Torsten Edklinth serait sur la corde raide s’il les donnait.
— Ne dites pas de conneries. Je sais ce que vous voulez. Vous savez ce que je veux. Si vous me donnez cette info, je vous traiterai en tant que sources, avec tout l’anonymat que cela implique. Ne me comprenez pas de travers, dans mon reportage je vais raconter la vérité telle que je la vois. Si vous y êtes mêlé, je vais vous dénoncer et m’arranger pour que vous ne soyez plus jamais réélu. Mais dans l’état actuel des faits, je n’ai aucune raison de le croire.
Le Premier ministre jeta un regard en coin sur Edklinth. Au bout d’un court moment, il hocha la tête. Mikael prit cela comme un signe que le Premier ministre venait de commettre une infraction à la loi – fût-elle extrêmement théorique – et de donner son assentiment silencieux à ce que Mikael prenne connaissance d’informations confidentielles.
— On peut résoudre ceci assez simplement, dit Edklinth. Je suis le seul enquêteur et je décide moi-même des collaborateurs que je recrute pour mon enquête. Vous ne pouvez pas être formellement employé comme enquêteur, puisque vous seriez obligé de signer un engagement au silence. Mais je peux vous engager comme consultant extérieur.
DEPUIS QU’ERIKA BERGER avait endossé le costume de rédacteur en chef de feu Håkan Morander, sa vie était bourrée de réunions et de travail à la louche de jour comme de nuit. Elle se sentait mal préparée en permanence, insuffisante et non initiée.
Ce ne fut que le mercredi soir, presque deux semaines après que Mikael Blomkvist lui avait donné le dossier de recherche de Henry Cortez concernant le président du CA, Magnus Borgsjö, qu’Erika eut le temps de s’attaquer au problème. En ouvrant le dossier, elle comprit que sa velléité venait aussi du fait qu’elle n’avait pas eu envie de s’y atteler. Elle savait déjà que quoi qu’elle fasse, ça se terminerait par une catastrophe.
Elle rentra chez elle dans sa villa à Saltsjöbaden assez tôt, vers 19 heures, débrancha l’alarme dans l’entrée et constata avec surprise que son mari, Lars Beckman, n’était pas là. Il lui fallut un moment avant de se rappeler qu’elle l’avait embrassé le matin avec un soin tout particulier parce qu’il partait pour Paris où il devait donner quelques conférences et qu’il ne serait pas de retour avant le week-end. Elle réalisa qu’elle ignorait totalement devant qui il allait parler, de quoi il allait parler et quand la conférence avait été décidée.
Oh, oui, mon Dieu, excusez-moi, mais j’ai égaré mon mari ! Elle se sentit comme un personnage dans un livre du Dr Richard Schwarts et se demanda si elle n’avait pas besoin d’une thérapie de couple.
Elle monta à l’étage, se fit couler un bain et se déshabilla. Elle prit le dossier de recherche avec elle dans la baignoire et passa la demi-heure suivante à lire toute l’histoire. Sa lecture terminée, elle ne put s’empêcher de sourire. Henry Cortez allait devenir un journaliste formidable. Il avait vingt-six ans et travaillait à Millenium depuis sa sortie de l’école de journalisme quatre ans plus tôt. Elle ressentit une certaine fierté. Tout l’article sur les cuvettes de W.C. et Borgsjö portait la signature de Millenium du début à la fin et chaque ligne était documentée.
Mais elle se sentit triste aussi. Magnus Borgsjö était un homme correct qu’elle aimait bien. Il ne faisait pas beaucoup de bruit, savait écouter, il avait du charme et paraissait simple. De plus, il était son chef et employeur. Putain de Borgsjö. Comment as-tu pu être aussi con ?
Elle réfléchit un moment pour savoir si on pourrait trouver d’autres rapprochements ou des circonstances atténuantes mais elle savait déjà qu’il serait impossible de nier l’évidence.
Elle plaça le dossier sur le rebord de la fenêtre et s’étira dans la baignoire pour réfléchir.
Millenium allait publier l’histoire, c’était inévitable. Si elle avait encore été la directrice du journal, elle n’aurait pas hésité une seconde, et le fait que Millenium lui ait discrètement refilé l’info à l’avance n’était qu’un geste personnel pour marquer que Millenium tenait à adoucir les dégâts pour elle autant que possible. Si la situation avait été l’inverse – si SMP avait dégoté des saloperies semblables sur le président du CA de Millenium (qui se trouvait être elle-même, Erika Berger !), elle n’aurait pas hésité non plus à publier.
La publication allait sérieusement porter atteinte à Magnus Borgsjö. Ce qui était grave au fond n’était pas que son entreprise Vitavara SA ait commandé des cuvettes de W.C. à une entreprise au Vietnam qui figurait sur la liste noire de l’ONU des entreprises exploitant des enfants au travail – et, dans le cas présent, aussi des prisonniers fonctionnant comme esclaves. Sans oublier que, à coup sûr, quelques-uns de ces prisonniers pourraient être définis comme prisonniers politiques. Le plus grave était que Magnus Borgsjö’avait connaissance de cet état de fait et avait pourtant choisi de continuer à commander des cuvettes de W.C. de Fong Soo Industries. C’était une attitude de rapace qui, dans le sillage d’autres gangsters capitalistes tels que l’ancien PDG de Skandia, avait du mal à passer auprès du peuple suédois.
Magnus Borgsjö allait évidemment soutenir qu’il n’avait pas été informé de la situation chez Fong Soo, mais Henry Cortez avait de bonnes preuves contre cela, et à l’instant même où Borgsjö essaierait de raconter des bobards, il serait de plus dévoilé comme menteur. Car en juin 1997, Magnus Borgsjö s’était rendu au Vietnam pour signer les premiers contrats. Il avait alors passé dix jours dans le pays et entre autres visité les usines de la société. S’il essayait de prétendre qu’il n’avait jamais compris que plusieurs des ouvriers de l’usine n’avaient que douze-treize ans, il paraîtrait complètement idiot.
La question de l’éventuelle ignorance de Borgsjö était ensuite définitivement réglée par le fait que Henry Cortez pouvait prouver que la commission de l’ONU contre le travail des enfants avait inclus Fong Soo en 1999 sur la liste des sociétés exploitant des enfants. Cela avait ensuite fait l’objet d’articles de journaux et avait aussi amené deux ONG indépendantes l’une de l’autre qui œuvraient contre le travail des enfants, dont la prestigieuse International Joint Effort Against Child Labour à Londres, à écrire des lettres aux entreprises qui passaient commande à Fong Soo. Pas moins de sept lettres avaient été envoyées à Vitavara SA. Deux d’entre elles étaient adressées à Magnus Borgsjö personnellement. L’organisation à Londres s’était fait une joie de transmettre la documentation à Henry Cortez tout en soulignant qu’à aucun moment Vitavara SA n’avait répondu à ses courriers.
Par contre, Magnus Borgsjö s’était rendu au Vietnam à deux autres reprises, en 2001 et en 2004, pour renouveler les contrats. C’était le coup de grâce. Toute possibilité pour Borgsjö de prétendre qu’il n’était pas au courant s’arrêtait là.
L’attention que les médias allaient y accorder ne pouvait mener qu’à une chose. Si Borgsjö avait du bon sens, il ferait amende honorable et démissionnerait de ses postes aux CA. S’il se montrait récalcitrant, il laisserait sa peau dans le processus.
Que Borgsjö soit ou ne soit pas le président du CA de la société Vitavara était le cadet des soucis d’Erika Berger. Ce qui était grave pour elle était qu’il soit également le président de SMP. La révélation signifierait qu’il serait obligé de démissionner. A un moment où le journal faisait de l’équilibre sur le bord de l’abîme et où un travail de renouveau avait été entamé, SMP ne pouvait pas se permettre d’avoir un président aux mœurs douteuses. Le journal allait en pâtir. Il fallait donc qu’il quitte SMP.
Pour Erika Berger, deux lignes de conduite se présentaient.
Elle pouvait aller voir Borgsjö, jouer cartes sur table et montrer la documentation et ainsi l’amener à tirer lui-même la conclusion qu’il devait démissionner avant que l’histoire soit publiée.
Ou alors, s’il faisait de la résistance, elle devait convoquer une réunion urgente et extraordinaire du CA, informer les membres de la situation et forcer le CA à le licencier. Et si le CA ne voulait pas suivre cette ligne-là, elle serait elle-même obligée de démissionner immédiatement de son poste de rédac-chef de SMP.
Quand Erika Berger en était là de ses réflexions, l’eau du bain était froide. Elle se doucha, s’essuya et passa dans sa chambre enfiler une robe de chambre. Ensuite elle prit son portable et appela Mikael Blomkvist. N’obtenant pas de réponse, elle descendit au rez-de-chaussée se préparer un café et, pour la première fois depuis qu’elle avait commencé à travailler à SMP, elle regarda si par chance il y aurait un film valable à la télé devant lequel se détendre.
En passant devant l’ouverture du séjour, elle sentit une vive douleur sous le pied, baissa les yeux et découvrit qu’elle saignait abondamment. Elle fit encore un pas et la douleur lui vrilla le pied tout entier. Sautillant à cloche-pied, elle rejoignit une chaise de style et s’assit. Elle leva le pied et découvrit, horrifiée, un éclat de verre fiché sous le talon. Tout d’abord, elle se sentit faiblir. Puis elle se blinda, saisit l’éclat de verre et le retira. Ça faisait un mal de chien et le sang jaillit de la plaie.
Elle ouvrit précipitamment un tiroir de la commode dans l’entrée où elle rangeait des foulards, des gants et des bonnets. Elle trouva un carré de soie qu’elle utilisa pour entourer le pied et serrer fort. Ce n’était pas suffisant et elle renforça avec un autre bandage improvisé. L’hémorragie se calma un peu.
Elle regarda, sidérée, le morceau de verre ensanglanté. Comment est-il arrivé là ? Puis elle découvrit d’autres bouts de verre sur le sol de l’entrée. C’est quoi ce putain de… Elle se leva et jeta un regard dans le séjour et vit que la grande fenêtre panoramique avec vue sur le bassin de Saltsjön était brisée et le sol jonché d’éclats de verre.
Elle recula vers la porte d’entrée et enfila les chaussures qu’elle avait enlevées en rentrant. Ou plutôt elle mit une chaussure et glissa les orteils du pied blessé dans l’autre, et sautilla plus ou moins sur une jambe dans le séjour pour constater le désastre.
Puis elle découvrit la brique au milieu de la table. Elle boita jusqu’à la porte de la terrasse et sortit dans la cour arrière. Quelqu’un avait tagué deux mots sur la façade avec des lettres d’un mètre de haut.
SALE PUTE
IL ÉTAIT UN PEU PLUS DE 21 HEURES quand Rosa Figuerola ouvrit la portière de sa voiture à Mikael Blomkvist. Elle fit le tour du véhicule et s’installa sur le siège du conducteur.
— Vous voulez que je vous raccompagne chez vous ou vous préférez que je vous dépose quelque part ?
Le regard de Mikael Blomkvist était vide.
— Très franchement… je ne sais pas trop où je me trouve. C’est la première fois que je fais chanter un Premier ministre.
Rosa Figuerola éclata de rire.
— Vous avez pas mal géré vos cartes, dit-elle. J’ignorais totalement que vous étiez si doué pour le poker menteur.
— Chacune de mes paroles était sincère.
— Oui, ce que je voulais dire, c’est que vous avez fait semblant d’en savoir bien plus que vous ne savez en réalité. Je m’en suis rendu compte au moment où j’ai compris comment vous m’aviez identifiée.
Mikael tourna la tête et regarda son profil.
— Vous avez relevé mon numéro d’immatriculation quand j’étais garée dans la pente devant chez vous.
Il acquiesça de la tête.
— Vous avez réussi à faire croire que vous saviez ce qui avait été discuté dans le cabinet du Premier ministre.
— Pourquoi n’avez-vous rien dit ?
Elle lui jeta un rapide coup d’œil et tourna dans Grev Turegatan.
— C’est la règle du jeu. Je n’aurais pas dû me mettre là. Mais c’était le seul endroit où je pouvais me garer. Eh, si on se tutoyait ?
— Bien sûr.
— Tu gardes un œil hyperattentif sur les environs, ou je me trompe ?
— Tu avais un plan avec toi sur le siège avant et tu parlais au téléphone. J’ai pris le numéro de la voiture et je l’ai vérifié, par acquit de conscience. Je vérifie toutes les voitures qui me font réagir. En général, je fais chou blanc. Dans ton cas, j’ai découvert que tu travailles à la Säpo.
— Je surveillais Mårtensson. Ensuite j’ai découvert que tu le surveillais par le biais de Susanne Linder de Milton Security.
— Armanskij l’a détachée pour garder un œil sur tout ce qui se passe autour de mon appartement.
— Et comme je l’ai vue entrer dans ton immeuble, je suppose qu’Armanskij a placé une forme de surveillance cachée chez toi.
— C’est exact. Nous avons une excellente vidéo d’eux quand ils entrent chez moi et fouillent mes papiers. Mårtensson avait une photocopieuse transportable avec lui. Avez-vous identifié l’acolyte de Mårtensson ?
— Il n’a aucune importance. C’est un serrurier avec un passé criminel, qui se fait probablement payer pour ouvrir ta porte.
— Son nom ?
— Source protégée ?
— Evidemment.
— Lars Faulsson. Quarante-sept ans. Connu sous le nom de Falun. Il a été condamné pour un casse de coffre-fort dans les années 1980 et autres petites bricoles. Il tient une boutique à Norrtull.
— Merci.
— Mais gardons les secrets pour demain.
La réunion s’était terminée par un accord stipulant que Mikael Blomkvist allait rendre visite à la Protection de la Constitution le lendemain pour entamer un échange d’informations. Mikael réfléchit. Ils passaient juste la place de Sergels torg.
— Tu sais quoi ? J’ai une faim de loup. J’ai déjeuné vers 14 heures, et j’avais l’intention de me faire des pâtes en rentrant quand je me suis fait cueillir par toi. Tu as mangé, toi ?
— Ça fait déjà un petit moment.
— Tu nous amènerais jusqu’à un resto avec de la bouffe mangeable ?
— Toute bouffe est mangeable.
Il la lorgna de côté.
— Je t’imaginais fana de diététique.
— Non, je suis fana de muscu. Quand on s’entraîne, on peut manger ce qu’on veut. Dans des limites raisonnables, je veux dire.
Elle s’engagea sur le viaduc de Klaraberg et réfléchit au choix qu’ils avaient. Au lieu de tourner vers Södermalm, elle continua droit sur Kungsholmen.
— Je ne sais pas ce que valent les restos à Söder, mais j’en connais un bosniaque sur Fridhemsplan. Leurs börek sont fabuleux.
— Ça me va, dit Mikael Blomkvist.
UNE LETTRE APRÈS L’AUTRE, Lisbeth Salander tapait son compte rendu. Elle avait travaillé en moyenne cinq heures par jour. Elle utilisait des formulations très précises. Elle prenait également soin d’occulter tous les détails susceptibles d’être utilisés contre elle.
Le fait qu’elle soit enfermée à clé était devenu un atout. Elle pouvait travailler dès qu’elle était seule dans la chambre et le cliquetis du trousseau de clés ou la clé qu’on introduisait dans la serrure la prévenait toujours qu’il fallait faire disparaître l’ordinateur de poche.
[J’étais sur le point de fermer à clé la maison de Bjurman à Stallarholmen, quand Carl-Magnus Lundin et Benny Nieminen sont arrivés sur des motos. Comme ils m’avaient cherchée en vain depuis quelque temps, sur ordre de Zalachenko/Niedermann, ils ont été surpris de me trouver là. Magge Lundin est descendu de sa moto en déclarant que « ça lui ferait pas de mal à cette gouine de tâter de la bite ». Lundin et Nieminen étaient si menaçants que j’ai été obligée d’appliquer la légitime défense. J’ai quitté les lieux sur la moto de Lundin que j’ai ensuite abandonnée devant le parc des Expositions à Älvsjö.]
Elle relut le passage et hocha la tête d’approbation. Il n’y avait aucune raison de raconter que Magge Lundin l’avait aussi traitée de sale pute et qu’elle s’était alors baissée pour prendre le Wanad P-83 de Benny Nieminen et avait puni Lundin en lui tirant une balle dans le pied. Les flics pouvaient probablement imaginer ça tout seuls, mais c’était à eux de prouver qu’elle l’avait fait. Elle n’avait aucune intention de faciliter leur travail en reconnaissant quelque chose qui la mènerait en prison pour violences aggravées.
Le texte comportait à présent l’équivalent de trente-trois pages et elle arrivait à la fin. Dans certains passages, elle était particulièrement parcimonieuse avec les détails et prenait grand soin de ne jamais essayer de présenter de preuves qui pourraient étayer les nombreuses affirmations qu’elle avançait. Elle alla jusqu’à occulter certaines preuves manifestes et enchaînait plutôt sur le maillon suivant des événements dans son texte.
Elle réfléchit un moment, puis elle remonta sur l’écran et relut les passages où elle rendait compte du viol sadique et violent de maître Nils Bjurman. C’était le passage auquel elle avait consacré le plus de temps et l’un des rares qu’elle avait reformulés plusieurs fois avant d’être satisfaite du résultat. Le passage occupait dix-neuf lignes du récit. Elle racontait de façon objective comment il l’avait frappée, renversée à plat ventre sur le lit, menottée et avait scotché sa bouche. Elle précisa ensuite qu’au cours de la nuit, il lui avait fait subir de nombreux actes sexuels violents, dont des pénétrations aussi bien anales qu’orales. Elle racontait qu’à un moment donné pendant le viol, il avait entouré son cou d’un vêtement – son propre tee-shirt – et l’avait étranglée si longuement qu’elle avait momentanément perdu connaissance. Ensuite il y avait quelques lignes où elle identifiait les outils qu’il avait utilisés pendant le viol, y compris un court fouet, un bijou anal, un énorme gode et des pinces qu’il avait appliquées sur ses tétons.
Lisbeth plissa le front et examina le texte. Pour finir, elle prit le stylet électronique et tapota encore quelques lignes de texte.
[A un moment donné, quand j’avais toujours la bouche scotchée, Bjurman a commenté le fait que j’avais un certain nombre de tatouages et de piercings, dont un anneau au téton gauche. Il a demandé si j’aimais être piercée, puis il a quitté la chambre un instant. Il est revenu avec une épingle qu’il a piquée à travers mon téton droit.]
Après avoir relu ce nouveau paragraphe, elle hocha la tête. Le ton administratif donnait au texte un caractère tellement surréaliste qu’il paraissait une affabulation absurde.
L’histoire n’était tout simplement pas crédible.
Ce qui était bel et bien l’intention de Lisbeth Salander.
A cet instant, elle entendit le cliquetis du trousseau de clés du vigile de Securitas. Elle arrêta immédiatement l’ordinateur de poche et le glissa dans la niche à l’arrière de l’élément de chevet. C’était Annika Giannini. Elle fronça les sourcils. Il était 21 heures passées et Giannini ne venait pas aussi tard en général.
— Salut Lisbeth.
— Salut.
— Comment tu vas ?
— Je ne suis pas encore prête.
Annika Giannini soupira.
— Lisbeth… ils ont fixé la date du procès au 13 juillet.
— C’est OK.
— Non, ce n’est pas OK. Le temps file et tu refuses de te confier à moi. Je commence à craindre d’avoir commis une énorme erreur en acceptant d’être ton avocate. Si nous voulons avoir la moindre chance, tu dois me faire confiance. On doit collaborer.
Lisbeth observa Annika Giannini un long moment. Finalement, elle pencha la tête en arrière et fixa le plafond.
— Je sais comment on va faire maintenant, dit-elle. J’ai compris le plan de Mikael. Et il a raison.
— Je n’en suis pas si sûre, dit Annika.
— Mais moi, je le suis.
— La police veut t’interroger de nouveau. Un certain Hans Faste de Stockholm.
— Laisse-le m’interroger. Je ne dirai pas un mot.
— Il faut que tu fournisses des explications.
Lisbeth jeta un regard acéré sur Annika Giannini.
— Je répète. On ne dira pas un mot à la police. Quand on arrivera au tribunal, le procureur ne doit pas avoir la moindre syllabe d’un quelconque interrogatoire sur laquelle s’appuyer. Tout ce qu’ils auront sera le compte rendu que je suis en train de formuler en ce moment et qui en grande partie va paraître excessif. Et ils l’auront quelques jours avant le procès.
— Et quand est-ce que tu vas t’installer avec un stylo pour rédiger ce compte rendu-là ?
— Tu l’auras dans quelques jours. Mais il ne partira chez le procureur que quelques jours avant le procès.
Annika Giannini eut l’air sceptique. Lisbeth lui adressa soudain un sourire prudent de travers.
— Tu parles de confiance. Est-ce que je peux te faire confiance ?
— Naturellement.
— OK, est-ce que tu peux me faire entrer en fraude un ordinateur de poche, pour que je puisse être en contact avec des gens via Internet ?
— Non. Bien sûr que non. Si on le découvrait, je serais traduite en justice et je perdrais ma licence d’avocat.
— Mais si quelqu’un d’autre faisait entrer en fraude un ordinateur, est-ce que tu le signalerais à la police ?
Annika leva les sourcils.
— Si je ne suis pas au courant…
— Mais si tu es au courant. Tu agirais comment ?
Annika réfléchit longuement.
— Je fermerais les yeux. Pourquoi ?
— Cet ordinateur hypothétique va bientôt t’envoyer un mail hypothétique. Quand tu l’auras lu, je veux que tu reviennes me voir.
— Lisbeth…
— Attends. Comprends bien ce qui se passe. Le procureur joue avec des cartes truquées. Je me trouve en position d’infériorité quoi que je fasse et l’intention de ce procès, c’est de me faire interner en psychiatrie.
— Je le sais.
— Si je veux survivre, moi aussi je dois me battre avec des méthodes illicites.
Annika Giannini finit par hocher la tête.
— Quand tu es venue me voir la première fois, tu avais un message de Mikael Blomkvist. Il disait qu’il t’avait raconté pratiquement tout, à quelques exceptions près. Une des exceptions était les talents qu’il a découverts chez moi quand nous étions à Hedestad.
— Oui.
— Il faisait allusion au fait que je suis un crack en informatique. Je suis tellement douée que je peux lire et copier ce qu’il y a dans l’ordinateur du procureur Ekström.
Annika Giannini blêmit.
— Tu ne peux pas être mêlée à ça. Donc tu ne peux pas utiliser ce matériel-là au procès, dit Lisbeth.
— En effet, non.
— Donc, tu ne connais pas son existence.
— D’accord.
— Par contre, quelqu’un d’autre, disons ton frère, peut publier des morceaux choisis de ce matériel. Tu dois le prendre en compte quand tu mets en place notre stratégie pour le procès.
— Je comprends.
— Annika, ce sera le procès de celui qui saura le plus utiliser la méthode forte.
— Je le sais.
— Je suis contente de t’avoir pour avocate. J’ai confiance en toi et j’ai besoin de ton aide.
— Hmm.
— Mais si tu t’opposes à ce que moi aussi j’emploie des méthodes peu éthiques, on va perdre le procès.
— Oui.
— Dans ce cas, je tiens à le savoir tout de suite. Alors je devrai te remercier et me trouver un autre avocat.
— Lisbeth, je ne peux pas aller à l’encontre de la loi.
— Il n’est pas question que tu ailles à l’encontre de la loi. Mais que tu fermes les yeux sur moi, qui le fais. Tu es capable de ça ?
Lisbeth Salander attendit patiemment pendant près d’une minute avant qu’Annika Giannini hoche la tête.
— Bien. Laisse-moi te raconter les grandes lignes de mon compte rendu.
Elles parlèrent pendant deux heures.
ROSA FIGUEROLA AVAIT RAISON. Les börek du restaurant bosniaque étaient fantastiques. Mikael Blomkvist lui jeta un regard en coin quand elle revint des toilettes. Elle évoluait avec la grâce d’une danseuse classique, mais elle avait un corps qui… Mikael ne pouvait s’empêcher d’être fasciné. Il réprima une impulsion de tendre la main pour tâter les muscles de ses jambes.
— Ça fait combien de temps que tu fais de la muscu ? demanda-t-il.
— Depuis mon adolescence.
— Et tu y consacres combien d’heures par semaine ?
— Deux heures par jour. Parfois trois.
— Pourquoi ? Je veux dire, je sais bien pourquoi les gens s’entraînent, mais…
— Tu trouves que c’est exagéré.
— Je ne sais pas trop ce que je trouve.
Elle sourit, apparemment pas du tout irritée par ses questions.
— Ça t’énerve peut-être seulement de voir une nana avec des muscles et tu trouves que ce n’est pas très féminin ni très érotique ?
— Non. Pas du tout. Ça te va bien, je dirais. Tu es terriblement sexy.
Elle rit encore.
— Je suis en train de diminuer le rythme actuellement. Il y a dix ans, je faisais du bodybuilding pur et dur. C’était sympa. Mais maintenant, je dois veiller à ce que mes muscles ne se transforment pas en graisse et que je devienne toute flasque. Alors je ne fais que soulever un peu de ferraille une fois par semaine et je passe le reste du temps à faire du jogging, du badminton, de la natation et ce genre de trucs. Il s’agit plus d’exercice physique que d’entraînement forcené.
— C’est déjà pas mal !
— La raison pour laquelle je le fais, c’est que c’est bon. C’est un phénomène assez répandu chez ceux qui se donnent à fond. Le corps développe une substance antalgique dont on devient dépendant. Au bout d’un moment, on a des sensations de manque si on ne court pas tous les jours. C’est comme un coup de fouet de bien-être quand on donne tout ce qu’on a dans le ventre. Presque aussi génial que de faire l’amour.
Mikael rit.
— Tu devrais t’y mettre aussi, dit-elle. Tu as la taille qui déborde un peu.
— Je sais, dit-il. J’ai la conscience qui me travaille en permanence. Ça me prend parfois et je me remets à courir. Je me débarrasse de quelques kilos et ensuite je suis pris par autre chose et je ne trouve pas le temps d’y aller pendant un mois ou deux.
— Il faut dire que tu as été assez occupé ces derniers mois.
Il devint sérieux tout à coup. Puis il hocha la tête.
— J’ai lu un tas de choses sur toi ces deux dernières semaines. Tu as battu la police à plate couture en trouvant Zalachenko et en identifiant Niedermann.
— Lisbeth Salander a été plus rapide encore.
— Comment tu as fait pour arriver jusqu’à Gosseberga ?
Mikael haussa les épaules.
— Du boulot de recherche ordinaire, dans les règles. Ce n’est pas moi qui l’ai localisé mais notre secrétaire de rédaction, Malou Eriksson, qui est désormais notre rédactrice en chef. Elle a réussi à le repérer par le fichier des sociétés. Il siégeait au CA de l’entreprise de Zalachenko, K A B.
— Je vois.
— Pourquoi tu as rejoint la Säpo ? demanda-t-il.
— Tu peux me croire ou pas, mais je suis quelque chose d’aussi démodé que démocrate. J’estime que la police est nécessaire et qu’une démocratie a besoin d’un rempart politique. C’est pourquoi je suis très fière de pouvoir travailler pour la Protection de la Constitution.
— Hmm, fit Mikael Blomkvist.
— Tu n’aimes pas trop la Sûreté.
— Je n’aime pas beaucoup les institutions qui sont au-dessus d’un contrôle parlementaire normal. C’est une incitation aux abus de pouvoir, même si les intentions sont bonnes. Pourquoi est-ce que tu t’intéresses aux mythologies antiques ?
Elle haussa les sourcils.
— Tu lisais un livre là-dessus, dans mon escalier.
— Ah oui, c’est vrai. Le sujet me fascine.
— Aha.
— Je m’intéresse à pas mal de choses. J’ai fait des études de droit et de sciences politiques pendant mes années comme agent de police. Avant ça, j’ai étudié l’histoire des mentalités et la philosophie.
— Tu n’as pas de points faibles ?
— Je ne lis pas de littérature, je ne vais jamais au cinéma, et à la télé je ne regarde que les infos. Et toi ? Pourquoi t’es devenu journaliste ?
— Parce qu’il existe des institutions comme la Säpo où le Parlement est interdit d’accès et qu’il faut dénoncer régulièrement.
Mikael sourit, puis reprit.
— Franchement, je ne sais pas très bien. Mais, en fait, la réponse est la même que la tienne. Je crois en une démocratie constitutionnelle, et de temps en temps il faut la défendre.
— Comme c’a été le cas avec le financier Hans-Erik Wennerström ?
— Quelque chose dans ce genre.
— Tu es célibataire. Tu sors avec Erika Berger ?
— Erika Berger est mariée.
— Bon. Donc, toutes les rumeurs sur vous deux sont des conneries. Tu as une copine ?
— Aucune permanente.
— Donc, ces rumeurs-là sont vraies aussi. Mikael haussa les épaules et sourit de nouveau.
LA RÉDACTRICE EN CHEF MALOU ERIKSSON passa la nuit jusqu’au petit matin à la table de cuisine chez elle à Årsta. Elle était penchée sur des copies du budget de Millenium et était tellement prise que son ami Anton finit par abandonner ses tentatives de mener une conversation normale avec elle. Il fit la vaisselle, prépara un sandwich tardif pour la nuit et du café. Ensuite il la laissa tranquille et s’installa devant une rediffusion des Experts à la télé.
Jusque-là dans sa vie, Malou Eriksson n’avait jamais géré quelque chose de plus sophistiqué qu’un budget familial, mais elle avait travaillé avec Erika Berger sur des bilans mensuels et elle comprenait les principes. Maintenant elle était devenue rédactrice en chef et cela impliquait une responsabilité budgétaire. A un moment donné, après minuit, elle décida que quoi qu’il arrive, elle serait obligée d’avoir un assistant pour l’aider à jongler. Ingela Oscarsson, qui s’occupait de la comptabilité un jour par semaine, n’avait pas de compétence en matière de budget et ne lui était d’aucune aide quand il fallait décider combien on pourrait payer un pigiste ou s’ils avaient les moyens d’acheter une nouvelle imprimante laser en marge de la somme portée au fonds d’améliorations techniques. Dans la pratique, c’était une situation ridicule – Millenium était carrément excédentaire, mais c’était grâce à Erika qui avait sans arrêt fait de l’équilibre avec un budget à zéro. Une chose aussi élémentaire qu’une nouvelle imprimante couleur à 45.000 couronnes se voyait réduite à une imprimante noir et blanc à 8.000 couronnes.
Pendant une seconde, elle envia Erika Berger. A SMP, elle disposait d’un budget où une telle dépense serait considérée comme la cagnotte pour le café.
La situation économique de Millenium avait été annoncée bonne à la dernière assemblée générale, mais l’excédent du budget provenait principalement de la vente du livre de Mikael Blomkvist sur l’affaire Wennerström. L’excédent, transféré sur les investissements, diminuait à une vitesse inquiétante. Une des raisons en était les dépenses que Mikael avait engagées pendant l’histoire Salander. Millenium ne disposait pas des ressources requises pour entretenir le budget courant d’un collaborateur, encore moins s’il ajoutait des factures pour location de voiture, chambres d’hôtel, taxis, achat de matériel technologique de pointe, téléphones portables et autres !
Malou valida une facture du free-lance Daniel Olofsson à Göteborg. Elle soupira. Mikael Blomkvist avait approuvé une somme de 14.000 couronnes pour une semaine de recherche sur un sujet qui ne serait même pas publié. Le dédommagement d’un certain Idris Ghidi à Göteborg serait affecté au compte honoraires des sources anonymes, par définition sans autre précision sur leur identité, ce qui signifiait que le vérificateur aux comptes allait critiquer l’absence de factures et que ça se transformerait en affaire à régler par une décision du CA. Millenium payait aussi des honoraires à Annika Giannini, qui certes allait recevoir de l’argent public mais qui dans l’immédiat avait quand même besoin de sous pour payer ses voyages en train, etc.
Elle posa son stylo et contempla les totaux obtenus. Mikael Blomkvist avait sans états d’âme allongé 150.000 couronnes pour l’histoire Salander, totalement en marge du budget. Ça ne pouvait pas continuer.
Elle comprit qu’elle serait obligée d’avoir un entretien avec lui.
ERIKA BERGER PASSA LA SOIRÉE aux urgences de l’hôpital de Nacka au lieu de se prélasser dans son canapé devant la télé. Le morceau de verre avait pénétré si profondément que l’hémorragie ne s’arrêtait pas et, lors de l’examen, on s’aperçut qu’un éclat pointu était toujours fiché dans son talon et devait être extrait. Elle eut ainsi droit à une anesthésie locale et trois points de suture.
Tout au long de son passage à l’hôpital, Erika Berger pesta intérieurement et essaya régulièrement d’appeler tantôt Lars Beckman, tantôt Mikael Blomkvist. Ni son mari légitime, ni son amant ne daignaient cependant répondre. Vers 22 heures, son pied se trouvait empaqueté dans un énorme bandage. On lui prêta des béquilles et elle prit un taxi pour rentrer chez elle.
Elle passa un moment, boitant sur un pied et sur les bouts d’orteil de l’autre, à balayer le sol du séjour et à commander une nouvelle vitre chez Urgence Vitres. Elle avait de la chance. La soirée avait été calme au centre-ville et l’installateur arriva au bout de vingt minutes. Puis la chance tourna. La fenêtre du séjour était tellement grande qu’ils n’avaient pas de verre en stock. L’artisan proposa de couvrir provisoirement la fenêtre d’une plaque de contreplaqué, ce qu’elle accepta avec reconnaissance.
Tandis que le gars mettait en place le contreplaqué, elle appela la personne de garde à la société privée de sécurité NIP, pour Nacka Integrated Protection, et demanda pour quoi, bordel de merde, l’alarme sophistiquée de sa maison ne s’était pas déclenchée quand quelqu’un avait balancé une brique par la plus grande fenêtre de sa villa de deux cent cinquante mètres carrés.
Une voiture de chez NIP fut dépêchée pour vérification et on constata que le technicien qui avait fait l’installation plusieurs années auparavant avait manifestement oublié de brancher les fils de la fenêtre du séjour.
Erika Berger en resta sans voix.
NIP offrit de remédier à la chose dès le lendemain matin.
Erika leur dit de ne pas se donner cette peine. A la place, elle appela les urgences chez Milton Security, expliqua sa situation et dit qu’elle voulait un système d’alarme complet dès que possible. Oui, je sais qu’il faut signer un contrat, mais dites à Dragan Armanskij qu’Erika Berger a appelé, et faites en sorte que l’alarme soit installée dès demain matin.
Pour finir, elle appela aussi la police. On lui dit qu’il n’y avait aucune voiture disponible pour venir prendre sa déposition. On lui conseilla de se tourner vers le commissariat de proximité le lendemain. Merci. Allez vous faire foutre !
Ensuite, elle resta un long moment à bouillir intérieurement avant que l’adrénaline commence à baisser et qu’elle réalise qu’elle allait dormir seule dans une baraque sans alarme alors que quelqu’un qui la traitait de sale pute et qui affichait des tendances à la violence rôdait dans le coin.
Un court moment, elle se demanda si elle ne ferait pas mieux d’aller en ville et de prendre une chambre d’hôtel pour la nuit, mais Erika Berger était de ceux qui n’aiment pas du tout être victimes de menaces et encore moins y céder. Pas question qu’un enfoiré de merde me mette à la porte de chez moi.
En revanche, elle prit quelques mesures de sécurité élémentaires.
Mikael Blomkvist lui avait raconté comment Lisbeth Salander avait traité le tueur en série Martin Vanger avec un club de golf. Elle alla donc dans le garage et passa dix minutes à fouiller pour trouver son sac de golf qu’elle n’avait pas vu depuis une quinzaine d’années. Elle choisit le club en fer avec le meilleur swing et le plaça à portée de main confortable du lit. Elle plaça un putter dans le vestibule et un autre club en fer dans la cuisine. Elle alla chercher un marteau dans la boîte à outils à la cave et le mit dans la salle de bains jouxtant la chambre.
Elle sortit sa bombe de gaz lacrymogène de son sac et la posa sur la table de chevet. Finalement elle trouva un coin en caoutchouc, ferma la porte de la chambre et la coinça avec. Elle en arrivait presque à espérer que ce connard qui la traitait de pute et qui lui bousillait sa fenêtre serait assez con pour revenir dans la nuit.
Quand elle s’estima suffisamment protégée, il était déjà 1 heure. Elle devait se trouver à SMP à 8 heures. Elle consulta son agenda et constata qu’elle avait quatre réunions prévues à partir de 10 heures. Son pied était très douloureux et elle était incapable de marcher normalement. Elle se déshabilla et se glissa dans le lit. Elle ne possédait pas de chemise de nuit et se demanda si elle ne devait pas mettre un tee-shirt ou quelque chose mais, comme elle dormait nue depuis son adolescence, elle décida que ce n’était pas une brique à travers la fenêtre du séjour qui allait modifier ses habitudes.
Bien évidemment, elle n’arriva pas à s’endormir et se mit à ruminer.
Sale pute.
Elle avait reçu neuf mails qui tous contenaient ces mots et qui semblaient émaner de différentes rédactions. Le premier était même envoyé de celle qu’elle dirigeait, mais l’expéditeur était faux.
Elle sortit du lit et alla chercher son nouvel ordinateur portable Dell, qu’elle avait reçu en prenant ses fonctions à SMP.
Le premier mail – le plus vulgaire et le plus menaçant, qui proposait de l’enculer avec un tournevis – était arrivé le 16 mai, dix jours plus tôt, donc.
Le deuxième était arrivé deux jours après, le 18 mai.
Puis une semaine de répit avant que les mails arrivent de nouveau, maintenant avec une régularité d’environ vingt-quatre heures. Puis l’attaque contre son domicile. Sale pute.
Entre-temps, Eva Carlsson à la Culture avait reçu des mails bizarres portant sa signature, c’est-à-dire signés Erika Berger. Et si Eva Carlsson avait reçu des courriels bizarres, il était tout à fait possible que le véritable auteur des messages se soit amusé ailleurs – que d’autres personnes aient reçu des courriels d’« elle », mais dont elle ignorait tout.
C’était une pensée désagréable.
Le plus inquiétant cependant était l’attaque contre sa maison.
Elle impliquait que quelqu’un s’était donné la peine de venir à Saltsjöbaden, de localiser son domicile et de lancer une brique à travers la fenêtre. L’attaque avait été préparée – l’agresseur avait emporté un aérosol de peinture. Dans la seconde qui suivit, elle sentit un frisson la parcourir quand elle comprit qu’il lui fallait peut-être ajouter une agression à la liste. Sa voiture avait eu les quatre pneus crevés pendant la nuit qu’elle avait passée avec Mikael Blomkvist au Hilton de Slussen.
La conclusion était aussi désagréable qu’évidente. Elle avait un dangereux malade à ses trousses. Quelque part là-dehors se baladait un type qui pour une raison inconnue passait son temps à harceler Erika Berger.
Que sa maison ait été l’objet d’une attaque pouvait se comprendre – elle n’était pas déplaçable ni dissimulable. Mais si sa voiture était attaquée quand elle était garée au hasard dans une rue de Södermalm, cela voulait dire que ce malade se trouvait en permanence dans sa proximité immédiate.